Une vie, une passion
Entretien avec Frédérique Aguillon réalisée par JF Rospape, directeur de l’Imagerie à Lannion
Co-organisatrice, au sein de l’association Aktinos, du festival Mai-Photographies de Quimper (Voir le Guide de la Photographie à l’Ouest 2005-2006), Frédérique Aguillon est aussi une photographe qui développe patiemment des projets. Avec Ceci est mon corps, elle signe aussi son second livre, et témoigne à nouveau de sa capacité à aller au bout d’une recherche personnelle. Jean-François Rospape (L’imagerie-Lannion), l’a rencontré pour nous à Quimper où elle vit.
Jean-François Rospape : comment tout ceci a-t-il commencé ?
Frédérique Aguillon : tout remonte aux Beaux-Arts de Quimper. J’avais proposé au diplôme (en 1987) un travail où se mêlaient sculpture et photographie, des sculptures (de bois et de pierre) disposées in situ dans le paysage, puis photographiées. Ce n’était pas seulement la trace de la sculpture dans le lieu, mais il y avait aussi un aspect rituel. C’était un travail très physique (creuser la pierre, la transporter…). Et, finalement, les sculptures ont disparu pour ne laisser que le paysage et la photographie.
J.-F. R. : Cette deuxième étape a duré plusieurs années. Votre oeuvre s’inscrit toujours dans le temps.
F. A. : J’ai vécu 2 ans à proximité d’une rivière, d’un monde de vasières. J’ai plongé dans cet environnement ; mais je ne voulais pas le reproduire. Je voulais dématérialiser le sujet. J’utilisais sous ou surexposition dès la prise de vues, comme si je dessinais en noir et blanc dans ma tête avant de photographier. Le développement et le tirage offrent toutes les possibilités de réflexion et d’interprétation (le double ou le triple développement du film avec des dilutions variables pour telle ou telle densité…). Tout ça m’a demandé beaucoup de temps et d’expérimentation. J’ai montré chez Artem à Quimper en 1990 de grands paysages rassemblés en multi-images. En 1992, des paysages également à la galerie Saluden. C’est formidable une exposition. Mais, même s’il y a le contact direct avec les visiteurs, l’affiche, la carte d’invitation, les communiqués… ça ne suffit pas pour moi à pérenniser le travail et j’ai décidé de faire mon premier livre (Passeur solitaire, autoédition). Je l’ai conçu comme un portfolio, comme un ensemble posé qui doit vivre dans le temps.
J.-F. R. : Ce premier livre porte en couverture « Photographies et texte » : cette présence du texte est permanente dans votre création…
F. A. : J’ai toujours eu besoin d’écrire quand je travaille. Beaucoup de notes. J’en remplissais des carnets dès les Beaux-Arts. Je trouve que le texte et l’image vivent bien ensemble. Pas un texte explicatif mais une double création, une double réflexion. L’écriture permet de se mettre à distance et d’analyser son propre travail. (Par contre je ne me sens pas capable d’écrire sur un autre photographe, je ne me sens pas « critique ».)
J.-F. R. : Votre 2e livre, « Ceci est mon corps » est venu d’une démarche différente. Ici, le sujet c’est l’artiste elle-même…
F. A. : J’ai rencontré Georges Monti (éditions Le Temps qu’il fait ), lors de Mai-Photographies 2001 consacré à l’édition. J’ai beaucoup apprécié sa démarche éditoriale. Je l’ai revu 2 ans après avec mes tirages et le livre est finalement sorti en mai 2005. Au départ, en 2000, ce n’était pas un projet délibéré, simplement une série d’autoportraits nus. C’était vraiment une impulsion. Puis, j’ai mis en place un processus de création. C’est d’ailleurs souvent comme ça : un aspect instinctif, au début, puis la réflexion. L’idée d’être confrontée à cette immense feuille blanche, sur laquelle je m’installais chaque jour était très angoissante. Je devenais moi-même « le crayon ». Je m’inscrivais en plus dans la grande histoire du corps, de la sculpture… même si je ne revendique pas de références, à posteriori je suis obligée de les voir. Ce travail a ensuite donné lieu à une exposition. Face aux photographies, les gens sont bouleversés, choqués parfois, mais très touchés comme si ça leur permettait d’ouvrir quelque chose en eux. Certains, y compris des femmes, me parlent de provocation dans l’aspect autoportrait, «auto-nu» et aussi dans la confrontation brutale avec mon handicap. Mais, pour moi, écrire le texte était beaucoup plus délicat que montrer les photos.